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ÉDITO

Matrimoine.

Chaque fois que je tape ce mot, le correcteur automatique le souligne en rouge pour marquer l'erreur ou remplace le premier m par un p. Je perds du temps à réécrire sans cesse le mot, pour rien. Pour rien ?
Et si tout se jouait là,
justement ? À ce moment précis où la machine sert l'homme et son destin, l'instant où se déroule une action invisible et pourtant bien réelle : l'effacement de la mémoire des femmes, et de ses mots.

Car si patrimoine il y a, mot né au XIIème siècle, «emprunté du latin patrimonium, de même sens, lui-même dérivé de pater, père », précise l'Académie française, on se dit que le mot matrimoine et l'héritage de la mater, la mère, ne doivent pas être loin. Wiktionnaire, dictionnaire libre de Wikipedia, nous le confirme : « Le terme apparaît en 1155 en ancien français, sous la forme de matremuine, puis matremoigne, avant de devenir matrimoine en 1408. Il désigne au départ les biens maternels ». Pourtant, cherchez ce mot dans le dictionnaire de l'Académie française, vous ne le trouverez pas

Alors, sexistes, l'Académie française et les logiciels de traitement de textes ?

 

Rien d'anecdotique à cela. Effacez la mémoire d'un peuple et vous l'asservirez. Déracinez-le, renommez-le, éradiquez sa culture, et vous pourrez l'exploiter librement sous prétexte que cet être humain n'a « pas », « plus » de valeur. Trop d'exemples jalonnent l'Histoire dans ses épisodes les plus sombres.

Et puis il y a les femmes. En se mariant elles quitt(ai)ent leur famille, leur maison, chang(eai)ent de nom. Ne dispos(ai)ent pas de leur corps, de leurs biens, de leur temps, de leur vie, gér(ai)ent gratuitement les tâches ménagères du foyer. Et gagnent à ce jour moins que les hommes pour les mêmes tâches, les mêmes responsabilités.

 

Faut-il s'étonner de ces inégalités persistantes ? Sur scène et à l'écran, espaces symboliques de représentation et face visible de l'iceberg de notre société dite du spectacle, ce sont, par exemple, seulement 14% de femmes programmées en musiques actuelles et 28% en classique, 6% de cheffes d'orchestre ou encore 6% de films sortis en salle qui sont l’œuvre de femmes (1). Dans la plupart des disciplines, elles sont plus du double à sortir diplômées des écoles d'art... L'écrémage est considérable. On en conclura que si la femme est volontiers placardée nue un peu partout dans l'espace public, tel un trophée que l'on exhibe, notre société rechigne toujours à lui laisser une place en tant que sujet, créateur qui plus est, à l'égal de l'homme.

 

Alors en attendant que les œuvres et les apports artistiques, scientifiques et intellectuels des créatrices soient reconnus et retrouvent leur place dans les manuels scolaires, les musées, au sein des conservatoires et des universités, en attendant que les noms de rues se féminisent et que les femmes perçoivent plus que les 17 % qui leur sont alloués par l'État au titre des financements déconcentrés dédiés au secteur musical, en attendant que les impôts soient redistribués sans distinction de genre, nous vous proposerons, tout au long de l'année, d'explorer notre matrimoine musical européen dans sa diversité, du classique au jazz en passant par les musiques du monde ou traditionnelles, à travers concerts, créations, table rondes et conférences. Notre culture européenne étant riche de multiples influences et apports de tous horizons, nous mettrons en valeur des compositrices et créatrices du XVIIè siècle à nos jours, de divers pays d'Europe, du monde arabe ou perse, des Amériques. Un vaste programme que nous déroulerons au fil des mois et autour duquel nous espérons vous rencontrer. 

Séverine Cappiello

 

(1) Source : Ministère de la Culture et de la Communication / Observatoire de l'égalité entre femmes et hommes dans la culture et la communication, Rapport 2022.

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